
Jules-Émile Leleu, né en 1883 à Boulogne-sur-Mer dans une famille d’artisans — une mère couturière et un père entrepreneur en peinture qui l’initie très jeune au métier — se forme d’abord à l’École d’arts appliqués Saint-Gildas de Bruxelles, puis aux Beaux-Arts de Boulogne. Le dessin et la sculpture, qu’il y étudie en profondeur, lui apportent une maîtrise des matériaux qui marquera toute son œuvre de créateur de mobilier.
En 1910, il reprend avec son frère Marcel l’entreprise familiale de peinture. Après la Première Guerre mondiale, Jules impulse un tournant décisif : la société se lance dans la création de meubles, d’abord centrée sur des copies de style. Les ateliers de Boulogne ouvrent en 1920. Deux ans plus tard, les frères Leleu s’imposent sur la scène parisienne : un cabinet exposé au Salon de la Société des Artistes français reçoit l’éloge de la critique, tandis qu’une salle à manger présentée au Salon d’automne attire également l’attention. Dès lors, la maison abandonne progressivement sa clientèle locale pour se consacrer à la conception d’ensembles modernes et luxueux destinés à une élite fortunée. En 1923, l’État français acquiert plusieurs de leurs pièces, signe d’une reconnaissance grandissante.
En 1924, Jules Leleu s’installe à Paris pour accompagner l’essor de son activité et devient rapidement considéré comme le principal rival ou émule de Ruhlmann. L’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925 marque un tournant : la maison Leleu y expose dans de nombreux pavillons, notamment pour l’Ambassade française, et reçoit un Grand Prix pour un buffet présenté à la galerie Selmersheim.
À partir de la fin des années 1920, Leleu acquiert le statut d’ensemblier-décorateur. Sa première grande réalisation — l’appartement de l’homme d’affaires Michaël Winburn, entre 1927 et 1928 — révèle un style épuré et moderniste qui attire bientôt des commandes prestigieuses, comme la rénovation du siège parisien de la Compagnie des Lampes ou l’aménagement de paquebots tels que l’Ile-de-France et l’Atlantique.
Durant les années 1930, ses créations se caractérisent par des formes simples et l’absence d’ornementation, avec des inserts métalliques discrets. Jules confie alors la création textile à sa fille Paule (ou Paulette) et la supervision des chantiers à son fils André. La maison réalise de nombreux intérieurs de prestige : commandes étatiques, appartements privés — notamment pour l’empereur du Japon —, résidences luxueuses ou encore la piscine du comte de Rivaud.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’activité se poursuit malgré les bouleversements. La maison Leleu réalise des projets d’envergure : la salle à manger privée du Palais de l’Élysée (1948), le train présidentiel (1954), des intérieurs diplomatiques, ou encore des espaces du paquebot France. Dans ces mêmes années, Jules cherche à conquérir la clientèle américaine et ouvre une boutique à New York, dans l’Upper East Side.
D’une initiative locale, la maison Leleu devient une véritable dynastie du décor, capable d’allier modernité, sobriété, fonctionnalité et excellence des matériaux. Après le décès de Jules en 1961, André et Paule poursuivent l’activité jusqu’en 1973, maintenant l’identité distinctive de la maison. Aujourd’hui, ses créations sont conservées dans des institutions majeures telles que le Musée des Arts Décoratifs de Paris, le Musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt, La Piscine de Roubaix ou encore le Metropolitan Museum of Art de New York.