CHARLOTTE PERRIAND (1903 – 1999)
"Créer un équipement aussi subtil, complexe et sensible que le corps humain, voilà notre tâche"[1]

CHARLOTTE PERRIAND (1903 – 1999)

Charlotte Perriand naît à Paris en 1903, de parents artisans dans la confection. Après des études à l'Union Centrale des Arts Décoratifs sous la direction d'Henri Rapin, elle réalise quelques meubles pour des commandes privées. La jeune créatrice s’affirme rapidement en rupture avec la tradition mobilière en défendant l'utilisation de matériaux nouveaux, le métal notamment. Elle en fait la démonstration avec son Bar sous le toit présenté au Salon d’Automne de 1927 et qui lui vaut d'élogieuses critiques pour son atmosphère à la fois luxueuse et décontractée, représentative du courant avant-gardiste.

 

La jeune designeuse n’a alors que 24 ans mais elle devient la même année l'associée de Pierre Jeanneret et le Corbusier, s’engageant à leurs côtés dans une critique créative et sociale contre l'académisme de certains salons. Leurs recherches communes pour le Salon d’Automne de 1929 vont en ce sens : le mobilier qu’ils créent étant conçu pour être utilisé indépendamment des pièces c'est désormais le propriétaire du lieu qui est considéré comme le créateur de son espace et non plus le décorateur. Devant le succès de cette exposition, la firme Thonet décide d'éditer le mobilier de Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand. Avec eux ainsi que Jean Prouvé et Robert Mallet-Stevens, elle fonde la même année l'Union des Artistes Modernes (UAM).

 

Les convictions politiques de la designeuse influent sur son travail, et notamment lors de l'Exposition Internationale de Bruxelles en 1935. Proche du Parti Communiste, elle ne cache pas les sympathies qui influencent sa réflexion sur l'architecture moderne. Ainsi de la Maison du Jeune Homme, nom de code d'un projet de logement étudiant que Perriand corrige en "Le nid d’un jeune homme qui épouserait son époque". Sa création mobilière se ressent également de ces réflexions, en témoigne sa participation au Salon des Arts Ménagers de1936 où elle propose un mobilier pensé pour être accessible aux classes moyennes frappées par la crise économique de 1929.

 

En 1940, Charlotte Perriand est invitée par le gouvernement Japonais en tant que conseillère dessinatrice en art industriel. La créatrice accepte d’autant plus que la France est en pleine débâcle militaire. Installée à Tokyo, elle y découvre une philosophie, un esthétisme, et un art de vivre qui lui correspondent particulièrement et dont elle se pénètrera en traversant le pays pour y donner des conférences autour d’une conception nouvelle de l’espace de vie japonais. Le minimalisme du mobilier nippon et leur rapport révérencieux à l’artisanat lui inspirent en 1941 l’exposition "Sélection, Tradition, Création" qu’elle défend à Tokyo et Osaka pour montrer comment la production japonaise peut s'adapter aux usages occidentaux.

A l’entrée en guerre du pays, Perriand quitte le Japon, transite par l’Indochine, et rejoint la France en 1946. Elle y reviendra en 1953 et y créera - entre autres - sa célèbre étagère "Nuage" qu’elle présentera à l’exposition "Proposition d’une Synthèse des Arts" en collaboration avec Le Corbusier et Fernand Léger et qui cherche à illustrer l'association des arts plastiques avec l'équipement intérieur de l'habitation.

 

De 1952 à 1953, la créatrice réalise plusieurs programmes d'équipements collectifs pour la Cité Universitaire Internationale de Paris et en collaboration avec les ateliers Jean Prouvé: les maisons de la Tunisie, du Mexique et du Brésil. Ces travaux sont motivés par l’accord idéologique entre les designers et les acteurs publics et mécènes à l’origine des chantiers qui souhaitent créer "une école des relations humaines pour la paix" en réaction à la crise du logement étudiant après-guerre.

Avec pour ligne directrice la recherche d’un mobilier à la fois fonctionnel et en accord discret avec l’architecture environnante, Perriand crée des unités de rangement, étudie des cuisines intégrées, des cabines sanitaires et même des équipements suspendus.

 

En 1956, Steph Simon ouvre sa Galerie de mobilier pour y représenter Charlotte Perriand et Jean Prouvé aux côtés d’artistes moins connus du grand public[2]. C’est Perriand qui aménage l’espace de vente, motivée toujours par la volonté de voir son mobilier édité et accessible au plus grand nombre. La galerie éditera le mobilier de Perriand jusqu’à sa fermeture en 1974.

 

Entre 1962 et 1969,Charlotte Perriand effectue de nombreux voyages au Brésil[3] et crée pour aménager son appartement de Rio de Janeiro de nouveaux meubles,plus baroque pour être en adéquation avec le pays hôte et sa culture.

En parallèle, amoureuse de la montagne par ses origines Savoyardes et parce que ce milieu est pour elle synonyme d'équilibre physique et moral, Perriand collabore entre 1967 à 1986, à la création des stations de ski Les Arcs. Ce chantier sera un des plus important de sa carrière car elle y intervient tant au niveau de l’urbanisme que de l'architecture et de l'équipement intérieurs des appartements. La créatrice choisit pour ce projet de privilégier de larges baies vitrées donnant sur l'extérieur, des cuisines ouvertes et des salles de bains préfabriquées pour aboutir à une économie rationnelle et agréable de l'espace. La relation entre le dehors et le dedans est centrale ici, sous-tendue par la recherche permanente chez Perriand d’un rapport heureux entre l'homme et son environnement. Ces travaux pour les stations Les Arcs 1600 et Les Arcs 1800l’occupent jusqu’en 1889. L’artiste a alors 86 ans.

 

En 1993, Charlotte Perriand est invitée et pour le Festival culturel du Japon à l’Unesco à énoncer sa vision de la maison de thé japonaise. Elle imagine pour l’occasion un espace voué au recueillement et à la méditation, dans une architecture mêlant tradition et modernité avec une charpente en sapin, des tatamis au sol et un cône de toile suspendu par des arceaux en guise de toit. "J'ai tenté d'exprimer un espace thé éphémère, pour méditer et rêver à un nouvel Age d'Or", écrit Charlotte Perriand[4].

 

L’artiste s’éteint à Paris en 1999 après 96 ans d’une vie de création engagée. Théoricienne d’un design adapté à son époque, Charlotte Perriand n’aura jamais dévié de ses convictions humanistes et sociales. Elle aura également marqué l'histoire par sa personnalité de femme libre, passionnée et ouverte aux autres cultures et à la Nature comme lieu de paix et d’harmonie. Elle reste à ce jour une des plus grandes inspiratrices du design contemporain avec son idée centrale que "le sujet c'est l'homme ce n'est pas l'objet"[5].

[1] Charlotte Perriand dans le Manifeste de la section Française de la IXe Triennale de Milan: "Des Arts appliqués à la vie quotidienne ", 1951

[2] comme le céramiste Georges Jouve, les designers de luminaires Isamu Noguchi et Serge Mouille, ou encore le verrier et céramiste Jean Luce

 

[3] son mari étant nommé directeur d'Air France pour l'Amérique Latine en 1962

 

[4]dans son auto biographie, "Une vie de création", éditions Odile Jacob, 1998.

 

[5] réflexion de l’artiste dans son "Grand entretien" de l'émission "Mémoires du siècle", sur France Culture le 25 mars 1997.

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